Sprawy opiekunów przed ETPC

Communiquée le 23 mars 2018

 PREMIÈRE SECTION

Requête no 1464/14
Tomasz ŁUCZKIEWICZ contre la Pologne
et 21 autres requêtes
(voir liste en annexe)

EXPOSÉ DES FAITS

La liste des requérants et les informations relatives au handicap des personnes aidées figurent en annexe.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants s’occupaient chacun, à domicile, d’un proche adulte, membre de leur foyer, en situation de handicap. L’aide qu’ils apportaient comportait plusieurs aspects, notamment : subvenir aux besoins de nourriture de la personne handicapée, favoriser son autonomie physique, assurer son hygiène personnelle, la soutenir psychologiquement et intellectuellement, l’aider à accomplir ses démarches administratives et à maintenir des liens sociaux. Les soins étaient dispensés à plein temps, soit 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Le taux d’incapacité des personnes aidées par les requérants, reconnu par les services locaux de santé publique, exigeait une aide quotidienne à domicile, des soins fréquents et une surveillance permanente. Les requérants cessèrent leur activité professionnelle ou renoncèrent à commencer une telle activité afin de prendre soin de leur proche.

En application de l’article 17, alinéas 1 et 3, de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales (voir la partie droit interne pertinent ci‑dessous, B.2.), les requérants percevaient une allocation pour assistance à personne en situation de handicap (świadczenie pielęgnacyjne) d’un montant mensuel de 520 zlotys polonais (PLN), soit environ 125 euros (EUR).

Le 1er janvier 2013, la loi du 7 décembre 2012 portant modification de la loi précitée entra en vigueur. Ce texte établissait un nouveau système d’attribution des prestations aux proches aidants (voir la partie droit interne pertinent ci-dessous, B.3.). D’après la motivation figurant dans le projet de loi, la modification se justifiait par le besoin d’éliminer les abus du droit à une allocation pour assistance à une personne en situation de handicap et, en même temps, de préserver l’équilibre des finances publiques. En vertu d’une disposition transitoire, formulée à l’article 11, alinéas 1 et 3, de cette loi modificative, les décisions accordant des prestations aux proches aidants en application de la réglementation antérieure devaient cesser ex lege de déployer leurs effets le 30 juin 2013, c’est-à-dire sans décision administrative préalable pouvant faire l’objet d’une contestation par les personnes concernées.

Le 24 juin 2013, le médiateur saisit la Cour constitutionnelle pour obtenir une décision sur la conformité à la Constitution de la norme transitoire susvisée qui prévoyait que, dans un délai de six mois, les décisions administratives ayant accordé des allocations aux proches aidants cessent ex lege de déployer leurs effets.

Par un arrêt du 5 décembre 2013 (no K 27/13), la Cour constitutionnelle conclut à l’inconstitutionnalité de l’article 11, alinéas 1 et 3, de la loi du 7 décembre 2012, en se référant à l’article 2 de la Constitution garantissant le droit à la justice sociale. Dans cet arrêt, elle jugeait que, eu égard aux décisions importantes prises par les bénéficiaires des prestations en question dans leur vie professionnelle et familiale et, compte tenu des circonstances économiques, à l’absence d’opportunité réelle pour eux de retour sur le marché de travail, la norme transitoire en cause violait les principes de confiance légitime et de sécurité juridique. Elle précisait que la phase de transition prévue par la loi aurait dû être suffisamment longue pour permettre aux bénéficiaires des prestations en question de s’adapter à la nouvelle réglementation. Elle soulignait que la stabilité de la loi était nécessaire, notamment si celle-ci portait sur les droits de personnes vulnérables ayant une faible capacité d’adaptation aux circonstances nouvelles. Enfin, elle considérait que la modification litigieuse avait été arbitraire et estimait qu’il était nécessaire de modifier la loi du 7 décembre 2012.

À la suite de l’arrêt susvisé, fut adoptée la loi sur l’établissement et le paiement d’une allocation pour les proches aidants (ustawa o ustaleniu i wypłacie zasiłkòw dla opiekunòw). Elle fut publiée le 4 avril 2014 et entra en vigueur le 15 mai 2014. Elle introduisait une allocation au bénéfice des personnes aidant des proches privées de prestations par la loi du 7 décembre 2012 portant modification de la loi du 28 novembre 2003 parce que, en application de ce texte, ils ne remplissaient plus les conditions pour en bénéficier.

En vertu de la loi du 4 avril 2014, les requérants étaient en droit de bénéficier d’une prestation mensuelle de 520 PLN (environ 125 EUR) et d’un rappel de prestation pour la période du 1er juillet 2013 au 15 mai 2014, date d’entrée en vigueur de cette loi, majoré des intérêts au taux légal.

Le 26 juillet 2013, un groupe de députés de la chambre basse du Parlement polonais (Sejm) saisit la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité des articles 16 a) alinéa 2 et 17 alinéa 1 b) de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2013. S’agissant de l’article 17 alinéa 1 b), ils alléguaient que la loi opérait une différenciation discriminatoire dans la situation des proches aidants, l’acquisition du droit à allocation pour assistance à une personne handicapée dépendant de l’âge de survenue du handicap.

Par un arrêt du 21 octobre 2014 (no K 38/13), la Cour constitutionnelle estima que l’article 16 a) alinéa 2 de la loi susvisée était conforme aux normes constitutionnelles découlant des articles 2, 32 et 69 de la Constitution. À cet égard, elle soulignait que le critère du plafond de ressources introduit par le législateur avait pour but la protection de l’équilibre du budget de l’État et qu’il était une solution proportionnée, rationnelle et objective.

En revanche, elle conclut que l’article 17 alinéa 1 b), en ce qu’il conditionnait le droit à l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap à la survenue du handicap de celle-ci avant l’âge de 18 ans (ou de 25 ans en cas de scolarisation), n’était pas conforme à l’article 32, alinéa 1, de la Constitution. Elle ne décida pas d’ôter à cette disposition sa force obligatoire mais affirma la nécessité que le législateur la modifie pour garantir un traitement égal pour les personnes aidant des adultes en situation de handicap. Dans sa motivation, elle indiquait expressément que son arrêt n’aurait pas pour conséquence d’abroger l’article 17 alinéa 1 b) de la loi sur les allocations familiales ni de créer « un droit » à l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap au bénéfice des aidants de personnes adultes dépendantes dont le handicap était survenu après l’âge de 18 ou de 25 ans. Elle rappelait que du principe d’égalité devant la loi (article 32, alinéa 1, de la Constitution) découlait une obligation de traitement égal à l’égard des sujets se trouvant dans des situations comparables. Elle affirmait en outre que la différence entre les prestations accordées aux proches aidants aurait pu être regardée comme justifiée si la distinction était fondée sur l’âge de la personne handicapée et non sur l’âge de survenue du handicap, et qu’il n’y aurait rien d’injustifié à traiter plus favorablement les proches aidants d’enfants en situation de handicap.

Les requérants, ne demandèrent pas à bénéficier de l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap prévue par la loi sur les allocations familiales dans sa version en vigueur à partir du 1erjanvier 2013, leur situation ne répondant pas aux critères permettant le versement de ladite allocation, puisque le handicap de leurs proches aidés n’était pas survenu avant l’âge de 18 ou 25 ans (voir la partie droit interne pertinent ci‑dessous).

B. Le droit interne pertinent

1. Les dispositions de la Constitution polonaise

Selon l’article 2 de la Constitution, la République de Pologne est un État démocratique respectant la prééminence du droit et mettant en œuvre les principes de la justice sociale.

D’après l’article 32 de la Constitution, tous les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à un traitement égal par les pouvoirs publics, et nul ne peut subir de discrimination dans la vie politique, sociale ou économique pour une raison quelconque.

2. Les dispositions de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales avant l’entrée en vigueur de la loi modificative du 7 décembre 2012

En vertu de l’article 17, alinéas 1 et 3, de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales (ustawa o świadczeniach rodzinnych), un proche aidant une personne handicapée à autonomie réduite, dont il est soit parent, soit tuteur de fait, soit envers laquelle il est tenu à une obligation alimentaire, avait droit à une allocation pour assistance à une personne en situation de handicap (świadczenie pielęgnacyjne) d’un montant mensuel de 520 PLN (environ 125 EUR), à condition qu’il cesse son activité professionnelle ou renonce à en commencer une afin de prodiguer les soins appropriés à la personne en question.

La loi du 7 décembre 2012 portant modification de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales, entrée en vigueur le 1er janvier 2013, établit un nouveau régime de prestations pour les proches aidants. Selon l’article 11, alinéas 1 et 3, de cette loi, le droit à l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap, acquis en vertu de la loi sur les allocations familiales dans sa rédaction antérieure, devait expirer ex lege le 30 juin 2013.

3. Les dispositions de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2013

Selon l’article 16 a), alinéas 1 et 2, de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales, dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2013, un proche aidant une personne handicapée dont la capacité d’autonomie est réduite et envers laquelle il est tenu à une obligation alimentaire ou dont il est le conjoint, a droit à une allocation d’un montant mensuel de 520 PLN (environ 125 EUR) s’il cesse une activité professionnelle ou renonce à en commencer une afin de prodiguer les soins appropriés à la personne handicapée et si les moyens de subsistance de son foyer combinés à ceux de la personne aidée ne dépassent pas le plafond de ressources prévu par la loi.

D’après l’article 17, alinéas 1 et 1b), de cette loi, un proche aidant une personne handicapée à autonomie réduite, dont il est soit parent, soit tuteur de fait, soit à l’égard de laquelle il a le statut de famille d’accueil présentant un lien de parenté, soit envers laquelle il est tenu à une obligation alimentaire, a droit à une allocation pour assistance à une personne en situation de handicap s’il cesse son activité professionnelle ou renonce à en commencer une afin de prodiguer les soins appropriés à la personne en question et si le handicap de celle-ci est survenu avant l’âge de 18 ans ou, au plus tard, de 25 ans, en cas de scolarisation. Le montant mensuel de cette allocation s’élevait à 620 PLN en 2013 et pendant les quatre premiers mois de l’année 2014, à 800 PLN pendant les 8 mois suivants de cette même année, à 1200 PLN en 2015, à 1300 PLN en 2016, à 1406 PLN en 2017, et, enfin, à 1477 PLN en 2018. L’article 17, alinéa 3 a), de cette même loi prévoit une revalorisation annuelle de ladite prestation.

Selon l’article 17, alinéa 5. 4), de cette loi, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016, l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap ne peut pas être attribuée lorsque le proche aidant une personne handicapée à autonomie réduite est déjà bénéficiaire de l’allocation octroyée en vertu de la loi du 4 avril 2014 sur l’établissement et le paiement des allocations pour les proches aidants.

4. Les dispositions de la loi du 4 avril 2014 sur l’établissement et le paiement des allocations pour les proches aidants

Le 15 mai 2014, la loi du 4 avril 2014 sur l’établissement et le paiement des allocations pour les proches aidants (ustawa o ustaleniu i wypłacie zasiłkòw dla opiekunòw) est entrée en vigueur. Selon cette loi, les personnes qui bénéficiaient de l’allocation pour assistance à une personne en situation de handicap en vertu de l’article 17, alinéa 1, de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, et qui ne pouvaient plus depuis le 1er juillet 2013 percevoir les prestations prévues aux articles 16 a) ou 17 alinéa 1 de ladite loi, ont droit à une allocation, en tant que proche aidant une personne handicapée, d’un montant mensuel de 520 PLN (environ 125 EUR). En outre, en application de cette même loi, les personnes remplissant les conditions ci-dessus peuvent bénéficier d’un rappel de prestation pour la période allant du 1er juillet 2013 au 15 mai 2014, date d’entrée en vigueur de ce texte, majoré des intérêts au taux légal.

GRIEF

Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention, les requérants allèguent que la loi du 7 décembre 2012 sur la modification de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales les avait privés de leur droit acquis, à savoir d’une allocation pour assistance à personne en situation de handicap et que l’article 17, alinéa 1b), de la loi sur les allocations familiales du 28 novembre 2003, dans sa version en vigueur à partir du 1er juillet 2013, porte atteinte à leur droit à bénéficier, sans discrimination, de leurs droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, notamment à raison de la différence de traitement établie par ce texte entre les proches aidants en fonction de l’âge de survenue du handicap de la personne aidée.

QUESTIONS AUX PARTIES

1. Les requérants ont-ils épuisé les voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention ?

 2. Y a-t-il eu atteinte au droit des requérants au respect de leurs biens, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 ?

 3. Les requérants ont-ils été victimes d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, en raison de la différence alléguée de traitement entre eux et les personnes aidant des proches dont le handicap est survenu dans les conditions prévues par l’article 17 alinéa 1 b) de la loi du 28 novembre 2003 sur les allocations familiales, dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2013 ?

 ANNEXE  –  w Aneksie wymienione są nazwiska grupy 22 osób, których indywidualnie złożone skargi na Polskę rozpatrzone zostaną przez Trybunał na jednej rozprawie

Źródło:   https://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=home&c=